Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/17

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— Qu’est-ce que c’était que cette marquise ? demandai-je. — Une femme très chic… mon vieux… Ancienne blanchisseuse à Concarneau, elle était devenue, par la grâce de je ne sais plus qui, marquise, et marquise de Turnbridge, encore… Et une intellectuelle, je ne te dis que ça !… Eh bien, donc, au lieu de dîner au restaurant, comme c’était tout d’abord convenu, la marquise – une lubie – aima mieux dîner chez elle… Soit !… Nous rentrons chez elle… Mais, à peine la porte refermée, une odeur épouvantable nous suffoque dans l’antichambre : « Nom de Dieu !… dit la marquise… c’est encore ma mère… Jamais je ne la déshabituerai de ça… » Et, furieuse, elle se dirige vers la cuisine. La noble mère était là qui trempait une soupe aux choux… « Je ne veux pas que tu fasses la soupe aux choux chez moi… Je te l’ai dit vingt fois… ça empeste l’appartement… Et si j’avais ramené un autre homme que mon amant, de quoi aurais-je eu l’air, avec cette puanteur de cabinets ?… Est-ce compris, enfin ? » Et se retournant vers moi, elle ajouta : « On dirait, nom de Dieu que tout un régiment de cuirassiers est venu péter ici… »

Il devint tout mélancolique à ce souvenir… et il soupira :

— C’était tout de même une femme épatante… tu sais ?… Et d’un chic !…

Et il répéta :