Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/204

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viendraient, et je ne saurais quoi leur dire… Dénoncer Jean-Jules-Joseph Lagoffin ?… Évidemment, cet homme ne m’avait pas dit son véritable nom, et je n’avais pas besoin d’aller à Montrouge pour savoir qu’il n’y habitait point.. Alors quoi ?… Ils ne me croiraient pas… Ils croiraient que c’est une défaite… Ils ne pourraient pas admettre que cet homme qui avait commis cet abominable crime, à deux pas de chez moi, dans une étrange maison qui m’appartenait, je ne l’eusse pas vu, pas entendu… À d’autres !… On ne se moque pas de la Justice à ce point… Alors, méfiants, avec des regards de hyène, ils m’interrogeraient, et, fatalement, je tomberais dans le guet-apens de leurs questions insidieuses et louches… Ils iraient fouiller ma vie, toute ma vie… Fragonard m’accuserait, Fragonard crierait l’impudicité de mes plaisirs, la honte coutumière de mes luxures… Ils voudraient savoir le nom de toutes celles qui sont venues ici, de toutes celles qui pourraient être venues ici, de toutes celles qui ne sont pas venues ici… Et les saletés des domestiques chassés, du grainetier que j’ai quitté, du boulanger que j’ai convaincu de faux poids, du boucher à qui j’ai renvoyé sa viande empoisonnée… et tous ceux qui seraient prêts, sous la protection du juge, à me salir de la boue de leurs vengeances et de leurs rancunes !… Et finalement, un beau jour, devant mes réticences, l’embarras de mes réponses, ma peur des scandales, qu’ils prendraient pour