Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/209

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pu. Une sorte de mauvais génie, qui s’est pour ainsi dire substitué à moi, et dont la volonté implacable m’incruste de plus en plus profondément en ce sol détesté, m’y retient, m’y enchaîne… L’annihilation de ma personnalité est telle que je me sens incapable du petit effort qu’il faudrait pour boucler ma malle, sauter dans l’omnibus, et de l’omnibus dans le train libérateur qui m’emmènerait vers les plaines… les plaines, les bonnes plaines, où tout est remuant et vivant, les herbes, les arbres, les grandes lignes onduleuses des horizons, et les petits villages, et les villes espacées, dans les verdures, et les routes dorées au soleil, et les douces rivières qui ne sont pas, elles, ces affreux torrents, bougons et poussifs…

Ici, le ciel se plombe davantage, s’appesantit, si lourd, sur mon crâne, que j’en sens, réellement, physiquement, le poids immémorial et l’inexorabilité cosmique… Loin que j’aie trouvé à X… un peu plus de santé, au traitement de ses eaux, au humage de ses vapeurs sulfureuses, à la mystification commerciale que sont ces sources fameuses, je suis envahi, conquis par la neurasthénie… je subis, un à un, tous les tourments de la dépression nerveuse et de l’affaiblissement mental. Aucun visage, aucun souvenir ne me sont plus un repos, une distraction, une halte dans l’ennui qui me ronge. Je ne puis plus travailler. Aucun livre ne m’intéresse. Rabelais, Montaigne, La Bruyère, Pascal… et Tacite, et Spinoza, et