Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/208

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foules dont je sens peser sur moi les mille regards ironiques.

Ou bien je suis à la chasse… Dans les bruyères et dans les luzernes, à chaque pas se lèvent bruyamment des perdreaux… J’épaule mon fusil, je tire… mon fusil ne part pas… mon fusil ne part jamais… J’ai beau presser la gâchette. En vain… Il ne part pas… Bien souvent les lièvres s’arrêtent dans leurs courses, et me regardent curieusement… les perdreaux s’arrêtent dans leur vol devenu immobile, et me regardent aussi… Je tire… mon fusil ne part pas ; il n’est jamais parti.

Ou bien encore, j’arrive devant un escalier… C’est l’escalier de ma maison… Il faut que je rentre chez moi. J’ai cinq étages à monter… Je lève une jambe, puis l’autre… et je ne monte pas… Je suis retenu par une force incoercible, et je ne parviens pas, malgré des efforts violents, à poser mes pieds sur la première marche de l’escalier… Je piétine, je piétine, je m’épuise en mouvements d’inutile ascension. Mes jambes vont, l’une après l’autre, avec une rapidité vertigineuse… Et je n’avance point… La sueur ruisselle sur mon corps… La respiration me manque… Et je n’avance point… Et brusquement, je me réveille, le cœur battant, la poitrine oppressée, la fièvre dans toutes mes veines, où le cauchemar galope… galope.

Eh bien, je suis à X… comme dans ces cauchemars. Vingt fois j’ai voulu partir, et je n’ai pas