Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/262

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teau Chomassus hésitait. Le marquis insista avec véhémence :

— Sans façon, mon cher, sans façon. Sapristi ! c’est bien le moins, entre gentilshommes… Et puis, la marquise, à qui je ne cesse de parler de vous, désire beaucoup faire votre connaissance.

En dépit de sa timidité, Chomassus finit par accepter… Mais il n’était pas sans crainte, n’ayant jamais mangé chez des marquis… Comment se tiendrait-il à table ? Ne serait-il pas ridicule ? Et la marquise ? Et ces grands diables de larbins ? Le cœur lui battait très fort quand il pénétra dans le vestibule, tout garni de vieilles tapisseries…

Le déjeuner fut excellent, et d’une gaieté comme jamais encore le pauvre homme n’en avait senti passer sur lui, entrer en lui, l’effusion chaude et cordiale. La marquise se montra d’une grâce simple, accueillante, le mit à son aise tout de suite. Elle s’intéressa vivement à Mme  Chomassus, à la famille Chomassus, aux amis de la famille Chomassus.

Et tout ce qu’il voyait l’amollissait ; les tapisseries des murs, les argenteries des buffets… un splendide trumeau, en face de lui, qui représentait une éblouissante féerie de fleurs et de fruits… et les deux valets de pied qui ne cessaient de lui verser du vin, décanté dans des aiguières d’argent ciselé. Et, au comble de la joie, il se disait :

— Ah ! j’ai tout de même de la veine d’être venu dans ce pays… Et ce n’est pas si difficile que