Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/335

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permettez-moi de vous le dire, vous connaissez si peu.

Parisien, ah ! je donnerais beaucoup, moi (je n’ai rien)… pour ne pas l’être, pour ne l’avoir jamais été… Peut-être aurais-je l’air un peu moins lugubre… peut-être souffrirais-je un peu moins et aurais-je un peu plus de cheveux sur la tête… Et peut-être aussi, n’étant pas né à Paris, serais-je né quelque part, comme vous tous !… À moins, toutefois, que je ne sois né nulle part, ce qui eût été une fameuse chance pour moi…

Car moi, je suis l’enfant de Paris… sorti de flancs miséreux… et de races dégénérées… J’ai eu pour père le crime, et pour mère la misère… Mes amis d’enfance à moi avaient nom Bibi Sapeur, La Gousse, Titi et Trompe-la-Mort… Plusieurs de ces pauvres gueux sont morts dans les bagnes, d’autres sur l’échafaud… et je sens qu’une mort semblable m’est réservée, peut-être !… Jusqu’à onze ans, je n’ai pas vu un champ de blé… une petite source… une belle forêt… Je n’ai vu que des couteaux, des yeux furieux… des mains rouges… les pauvres mains !… rouges d’avoir tué… des mains pâles… les pauvres mains !… pâles d’avoir volé… Et que pouvaient-elles faire d’autre ?

Mes yeux à moi, dans l’emportement, dans la colère et dans la faim… et dans l’amour aussi… ont le reflet de ces couteaux de mon enfance et font penser à la guillotine… Et mes mains…