Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/395

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cher monsieur Georges, j’ai connu, durant ces vingt-cinq jours, l’étrange et douloureux supplice de ne penser qu’à tuer cet homme, et de ne pas oser… Le meurtre était en moi… à l’état de désir vague, mais non à l’état d’acte résolu… C’est une horrible souffrance… C’est dans ces conditions morales, et aussi pour échapper, ne fût-ce que quelques heures, à cette obsession affolante du meurtre, que je décidai de faire l’excursion du port de Vénasque… Je partis donc, ce matin. J’avais un bon guide… un bon cheval… le ciel était un peu voilé ; à mesure que je montais, il se dégageait de ses brumes… se faisait radieux… éblouissant… Mais la montagne est terrible… Elle n’éveille que des idées de désolation et de mort… Loin de me distraire de mes préoccupations, elle en augmentait la puissance sinistre… À un certain endroit, l’idée me vint, véritablement providentielle, de quitter la route connue, la route des touristes, et d’atteindre un sommet où la neige étincelait dans le soleil… J’abandonnai mon cheval à la garde du guide, et seul, avec rage, j’attaquai une sorte de sente dans le roc, qui montait, à pic, au bord d’un gouffre… Rude ascension… Vingt fois, je pensai rouler dans le gouffre… Je m’acharnai… Quand, tout à coup, je me trouvai face à face, et poitrine à poitrine, avec un homme qui descendait l’étroite sente… Ah ! jour de Dieu !… C’était mon homme… l’homme du tube… Mon sang ne fit qu’un tour dans