Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/399

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quel pays voulez-vous que je sois, sinon de Bretagne ? Je suis né dans les environs de Vannes, en Morbihan – Hihan ! Hihan ! – qui est tout ce qu’il y a de plus bretonnant dans toute la Bretagne. Mon père et ma mère étaient de petits cultivateurs, très malheureux, très pieux et très sales. Ivrognes aussi, cela va de soi. Les jours de marché, on les ramassait dans quel état, mon Dieu !… le long des chemins. Et bien des fois ils passèrent la nuit à dormir et à vomir au fond des fossés. Selon la coutume du pays, je grandis dans l’étable, avec les cochons et les vaches, comme Jésus. J’étais tenu si malproprement, j’avais sur moi tant et tant d’ordures accumulées que, lorsque mon père venait, le matin, nous réveiller, les animaux et moi, il fallait quelques minutes avant de me distinguer des bouses. On m’éleva dans toutes sortes de superstitions. Je connus par leurs noms les diables de la lande, les fées de l’étang et de la grève. Avec le Pater et l’Ave, quelques cantiques en l’honneur de sainte Anne, et l’histoire miraculeuse de saint Tugen, c’est tout ce que je connus. J’appris aussi à honorer le Révérend Père Maunoir qui, par une simple imposition de la main sur la langue des étrangers, leur inculquait le don de la langue bretonne, ainsi qu’il appert d’une fresque remarquable que tout le monde peut voir en la cathédrale de Quimper-Corentin… Je puis dire, non sans orgueil, que j’étais un des enfants les mieux