Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/410

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la science de mon métier, au point que, débarquant à Paris, je pouvais servir, je ne dis pas chez des princes et des ducs, mais dans de braves maisons bourgeoises aussi bien comme cocher que comme valet de chambre. Le surlendemain de ma triomphale entrée dans la capitale, je fus présenté à un vieux petit monsieur, tout en deuil, à qui il venait d’arriver un affreux malheur. Son cocher – le cocher que je devais remplacer – avait assassiné sa femme, dans des conditions mystérieuses, et pour des raisons toujours inconnues des magistrats, à l’heure qu’il est. Il me raconta ce tragique événement avec beaucoup de discrétion et de tristesse. Il avait une figure un peu ridée et très sournoise, un long pardessus ouaté comme une douillette de prêtre, et ses mains très blanches faisaient, en remuant, un petit bruit d’osselets. Comme il lisait mes certificats, qui étaient excellents, il me dit en hochant la tête, et avec de l’effarement dans son regard :

— Les siens aussi étaient parfaits…

Il ajouta timidement :

— Vous comprenez, il me faut des renseignements précis et sérieux sur les serviteurs que j’engage… Car, maintenant, je suis tout seul… Et si je tombais encore sur un assassin, ce n’est plus ma femme… c’est moi qui serais assassiné… Ah ! Ah !… vous comprenez… Je ne peux prendre, comme ça, le premier venu…