Page:Mirbeau - Les Vingt et un Jours d’un neurasthénique, 1901.djvu/421

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livrée, aussi, dont la casquette trop large me couvrait entièrement les oreilles et la nuque, et, sur le fond grisâtre de la garniture à petites fleurettes, ces deux étranges visages, l’un – celui de la gouvernante – mol et boursouflé, perdu dans les fanfreluches d’une mode caricaturale et disparue, l’autre – celui du baron – sec et pâle, avec des yeux toujours effarés, sortant du velours passé de la douillette, comme de son écrin noir un tout petit ivoire, jauni et frotté par les siècles… tout cela excitait les rires des passants dans la rue. On nous suivait, on nous lançait des acclamations grotesques… Les lazzi insultants pleuvaient sur nous, comme sur des masques crottés, un jour de carnaval pluvieux et sale… Ma dignité eut beaucoup à souffrir de ce ridicule, et plus encore de ce ridicule que de ma livrée ; je détestai le baron, qui avait la cruauté de me l’imposer.

Jamais je ne pénétrais dans les appartements de M. le baron. Ils étaient, paraît-il, remplis de vitrines dans lesquelles il rangeait soigneusement, méthodiquement, par époques et par pays, ses éteignoirs. Au dire des gens du quartier, il y en avait pour plusieurs millions… Des millions d’éteignoirs !… Et il en achetait toujours !… La matinée, ce n’étaient qu’allées et venues de brocanteurs. À midi, après son déjeuner, le baron sortait, toujours seul, toujours à pied, et il courait jusqu’à six heures les boutiques de ferraille, les magasins de curiosités… Je ne le voyais qu’à sept heures,