Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/167

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Le père Dugué avait soixante-douze ans, un âge qu’atteignent rarement les paysans, harassés qu’ils sont par la besogne, brisés par les fatigues, épuisés par les nourritures insuffisantes en un climat presque toujours pluvieux et froid comme l’est celui de Normandie. Je le rencontrais quelquefois, quand il allait chauffer son vieux dos, sur les routes, au soleil, ou bien encore quand il descendait à la ville, le vendredi, pour se faire raser, et acheter sa bouteille d’eau-de-vie. Il marchait péniblement, sa haute taille courbée en arc vers le sol, se soutenant avec un long bâton de cornouiller qu’il avait lui-même, il y a plus de vingt ans, coupé dans une haie. Nos conversations étaient toujours les mêmes. « — Un beau temps, père Dugué. — Heu ! ça pourrait ben changer, l’ vent n’a point viré dans l’ bon sens ». Ou bien : « Un chien de temps, père Du-