Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’arrondissement écrit en parlant de moi : « Notre éminent compatriote, le poète Hippolyte Dougère… » Et puis après ? qu’est-ce que cela me fait ! Je ne suis toujours qu’un poète local, je n’ai qu’une réputation de clocher ! Être acclamé par ses parents, admiré par ses amis, porté en triomphe par des gens avec qui l’on vit, que l’on tutoie… que l’on coudoie à toutes les heures de la journée… la belle affaire !… Est-ce vraiment de la célébrité ?… Non !… ce qu’il faut, c’est l’admiration inconnue ; c’est se dire : À Moscou, à Calcutta, au Japon, à Lons-le-Saulnier, dans le Soudan, à Paris, il y a des gens que tu ne connais pas, dont tu ignores le nom, le sexe, le langage et la race, qui ne sont pas habillés comme toi, qui peut-être portent des dieux peints sur les fesses, adorent des lapins blancs et mangent de la chair humaine, des gens que tu ne verras jamais, dont tu n’entendras jamais parler… jamais, jamais… et qui t’applaudissent, et qui crient : « Vive le