Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/375

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moi l’agaçante et folle musique de ses mille grelots. « As-tu de l’argent ?… Il me faut de l’argent… Ah ! je voudrais de l’argent !… quand aurai-je de l’argent ?… l’argent, l’argent, l’argent ?… » Elle me disait bonjour avec ce mot, bonsoir avec ce mot. Ce mot sortait de ses soupirs, de ses colères, de ses rêves ; et quand elle ne l’articulait pas, je voyais, au mouvement de ses lèvres, qu’il était là, toujours là, frémissant, impatient, criminel.

Vous allez croire, sans doute que c’était pour faire marcher le ménage, avoir la vie plus grasse et moins exempte de privations, qu’elle était si ardente à l’argent ? Point. Si elle était laide, cela ne l’empêchait point d’être coquette ; et, si je n’ai jamais vu de femme plus hideuse, jamais, jamais je ne vis de plus coquette personne. Une toilette, un bijou aperçu à travers des vitrines éblouissantes, la faisaient tomber en pâmoison. Elle eût sacrifié ma vie pour un manteau avec de la belle fourrure ; elle eût donné