Page:Mirbeau - Lettres de ma chaumière.djvu/406

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Non, ils ne dormaient pas, « nos duellistes », oh ! non. Pescaire se voyait déjà, étendu sur l’herbe, mort — car il ne doutait pas qu’il allait mourir. Il se représentait l’affreuse blessure de la balle, toute rouge, là, sous le sein gauche ; et il se tâtait la poitrine, à cette place, et il croyait sentir au bout de ses doigts, la chair écrasée et le sang chaud qui se caillait !… Quelle folie aussi d’avoir provoqué Cassaire, l’invincible Cassaire, Cassaire protégé déjà par vingt duels, dont cinq mortels ! Était-ce assez bête à lui, pauvre diable, qui, malgré sa réputation de grand tireur, n’avait de sa vie tenu la poignée d’une épée, ni la crosse d’un pistolet… des jouets, de simples jouets aux mains de son ennemi !… Comme il était conscient de sa force, le sauvage ! Quel calme, quelle assurance, quelle ironie !… Mais était-ce bien vrai qu’ils allaient se battre ?… N’y aurait-il pas, au dernier moment, un événement, un miracle, il ne savait quoi, qui empêcherait le duel ?… Et