Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/100

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En relongeant le port, il reçoit aussi une impression consolante. Tout s’est animé, tout brille. La marée monte, battant d’un léger clapotement les murs des quais et les cales immergées. Redressée par le flot, la goélette arbore fièrement sa mâture haute, dorée par les derniers reflets du jour ; quelques chaloupes de pêche rentrent, voiles carguées, à l’aviron, avec un bruit de soie froissée ; et les mouettes rasent l’eau luisante, de leur vol joueur et hardi. Une odeur salée, mêlée aux souffles puissants du coaltar, imprègne l’atmosphère. L’enfant la respire délicieusement, l’âme conquise à des féeries de voyage, à des immensités bleues, à de vagues dispersions dans de la lumière. Et, mentalement, franchissant les lignes de terre, dures, plus assombries à cette heure, qui barrent l’horizon, il s’élève jusqu’à la conception de l’infini.

Sur la petite place, aux maisons gothiques, près du collège, deux jeunes filles de même taille, de même costume, de même svelte et délicate tournure, se sont arrêtées, avec leur mère, pour voir défiler les élèves.

— Ce sont les sœurs de Le Toulic… qui est de ta classe… tu sais bien… Le Toulic, qui est toujours le premier… explique Jean… Maman les appelle les « deux sans hommes », parce qu’elles voudraient bien se marier et qu’elles ne trouvent personne… Elles n’ont pas d’argent… Le père de Le Toulic était louvetier… Il est mort… Elles sont très jolies !…

Elles sont charmantes, en effet, vêtues de pénombre, et leur silhouette délicate s’enlève, géminée, sur le fond d’une boutique qui s’allume.