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Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/99

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Guy de Kerdaniel et lui-même, Bolorec, un martyr plus féroce que ses bourreaux, l’écureuil, le clerc d’huissier, les chiens de M. de Kerral, tout cela, dans les ténèbres de sa conscience, se heurte, singulièrement relié par d’étranges analogies, soudainement éclairé par de farouches lueurs. Des poings tendus, des gueules hurlantes, des mains déchireuses, des foules sauvages, une sensation obscure et pénible de l’éternelle haine, une confuse et rapide vision du meurtre universel, tout cela lui cause un malaise que la marche et la voix gazouillante de Jean ne tardent pas à dissiper. Bolorec s’est remis à tailler son bateau ; les rangs se sont reformés ; et le soir vient, teintant l’horizon céleste de sourdes lumières orangées qui donnent au firmament un jour mystique de vitrail. Une ombre religieuse, pacifiante, sous la voûte des marronniers, enveloppe les colonnes des troncs, les listeaux des branches ; et les grappes pourprées des lilas terrestres, issant des talus empierrés, flambent sur le fond plus vert des prairies. Dans son cœur, un instant troublé, la joie reparaît claire, sereine ; le remords s’évanouit, l’espoir revient, immaculé. Engainés de longues chemises de toile blanche, quelques-uns ivres, tous vermineux et couverts de fange, des paysans passent sur la route. Sébastien les regarde passer, et il les salue comme de surnaturels êtres, des saints descendus des vitraux d’église, des anges envolés des cintres de chapelle, et qui l’accompagnent pour veiller sur lui. Toutes les choses, agrandies, embellies, ennoblies par son imagination, prennent des formes heureuses, des formes exultantes de tendresse et de prière.