Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/119

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plus. Il ne voulait plus supporter les fantaisies cruelles, les propos malsonnants, les mépris dont on l’avait abreuvé jusqu’ici, être le jouet des caprices d’une foule ennemie, se voir poursuivi par elle, comme le clerc d’huissier par les chiens de M. de Kerral.

— Non ! je ne veux plus ! disait-il, tout haut, tandis que ses pieds faisaient voler les feuilles mortes, et que, dans sa tête, la colère montait… Je ne veux plus.

Bolorec était resté à la même place, taillant son morceau de bois. Deux élèves, près de lui, l’agaçaient de leurs plaisanteries, qui, d’ailleurs, n’étaient ni bien injurieuses, ni bien méchantes. Mais Sébastien ne pouvait plus maîtriser les mouvements précipités de son cœur. Il leur cria :

— Allez-vous-en… Je vous défends d’embêter Bolorec… il ne vous dit rien, lui.

L’un d’eux s’avança, les poings sur les hanches, provocant :

— Qu’est-ce que tu chantes, toi ?… Quincaillier ! Espèce de sale quincaillier !

D’un bond, Sébastien se rua sur lui, le renversa, et le souffletant à plusieurs reprises :

— Chaque fois que tu voudras m’insulter, tu en auras autant… toi… et les autres…

Et, comme le battu se relevait, piteux :

— Oui, mon père est quincaillier, confessa Sébastien… Et j’en suis fier, entendez-vous… Il ne fait pas dévorer les malheureux par ses chiens, lui !…

Au bruit de la lutte, quelques écoliers étaient accourus. Personne n’osa répliquer, et Sébastien entraîna Bolorec, qui semblait ne s’être aperçu de rien.