Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/118

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ronnées, qui n’avaient jamais abrité que des opulences mauvaises et barbares, une vie affreusement triste, plus désespérée que celle des mendiants, à qui sourit, parfois, le réchauffant soleil de la charité, une vie hors la vie, perdue dans le morne, sombrée dans l’irréparable, dont chaque minute accroissait les angoisses, accélérait les définitives chutes. Et ce fut pour lui une joie profonde, presque farouche et terrible, que cette pensée de justice, où il goûta l’ivresse de la revanche, la revanche de sa propre misère, et de toutes les misères de sa race qui tressaillaient en elle. Ce qu’il y avait de sang peuple dans ses veines, ce qui y couvait de ferments prolétariens, ce que la longue succession des ancêtres, aux mains calleuses, aux dos asservis, y avait déposé de séculaires souffrances et de révoltes éternelles, tout cela, sortant du sommeil atavique, éclata en sa petite âme d’enfant, ignorante et candide, assez grande cependant, en cette seconde même, pour contenir l’immense amour, et l’immense haine de toute l’humanité.

S’apercevant qu’il s’était écarté de ses compagnons, Sébastien les rejoignit, grave, hanté de cette idée que, désormais, il avait une mission à remplir. Sans la définir nettement, sans en démêler les moyens et le but, il l’entrevoyait belle, courageuse, dévouée. Et d’abord, il n’acceptait plus que ces enfants le rejetassent de leur vie ; c’était lui qui, maintenant, allait les rejeter de la sienne. Il était décidé à faire respecter son père, ses souvenirs, ses tendresses, et malheur à qui oserait y toucher. Cette soumission qui le rendait petit, humble, suppliant, peureux, il n’en voulait