Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/144

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de fange, qu’aucun pardon n’était capable de purifier et de guérir, On en voyait qui, tout d’un coup, très pâles, frissonnant de terreur, se frappaient la poitrine et criaient tout haut : « J’ai péché ! J’ai péché ! Mon Dieu, sauvez-moi de la damnation… Mon Dieu, épargnez-moi vos tourments ! » Quelques-uns étaient pris de crises nerveuses ; il fallait les emporter, les coucher, les soigner. Joseph Le Guadec mourut d’une méningite.

C’est dans ces conditions particulières d’exaltation que Sébastien s’approcha de la sainte table. Il tremblait ; sa gorge était serrée. Le menton appuyé contre la nappe, il attendait, en proie à une émotion presque mortelle, et il regardait, de coin, le prêtre qui, portant le ciboire d’or et murmurant des prières à voix basse, faisait, de lèvres en lèvres, voler l’hostie, au bout de ses doigts écartés et très blancs. Dès qu’il eut reçu l’hostie, d’abord il s’étonna. Au lieu d’éprouver l’indispensable chaleur et la nécessaire extase qu’on lui avait prédite, il ressentit, sur la langue, une impression de froid glacial qui, gagnant la bouche, la poitrine, se répandit dans tout son corps, secoua ses membres, fit claquer ses dents ainsi qu’un frisson de fièvre. En même temps, cet étonnement pénible s’augmenta d’un atroce embarras. Il ne savait comment avaler cette hostie qui était la chair, qui était le sang d’un Dieu ! Sa langue maladroite, irrespectueusement, la promenait d’un coin du palais à l’autre. Ici, collée aux muqueuses, là, fragmentée ou bien réduite en paquet gluant, il ne parvenait pas à lui faire franchir les défilés de sa gorge. Une