Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/18

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efforcés, toutefois, par leur probité, leur amour de Dieu, leur fidélité aux anciennes croyances, de glorifier les traditions de l’aïeul vénéré. Et ce fut l’histoire de sa propre existence, contée avec des amertumes grandioses et des navrements comiques : les aspirations de sa jeunesse, étouffées par un père très pieux, il est vrai, mais avare et borné ; ses résignations dans un travail indigne de lui ; les courtes joies de son mariage ; les douleurs de son veuvage ; l’effroi de ses responsabilités paternelles ; enfin l’espérance — qu’un refus détruirait — de voir revivre, en son fils, les nobles ambitions défuntes, les beaux rêves envolés, car M. Roch avait rêvé d’être fonctionnaire. Ces récits, ces supplications, coupés de parenthèses, et noyés en une incroyable phraséologie, vainquirent les primitives répugnances des bons Pères, qui consentirent enfin l’année suivante, à se charger de l’éducation de Sébastien.

Le matin qu’il en eut la nouvelle, M. Roch éprouva une des plus fortes joies de sa vie. Mais il avait la joie austère. Chez cet homme grave, si grave que personne ne pouvait se vanter de l’avoir vu rire ou sourire, la joie ne se manifestait que par un redoublement de gravité, et une particulière contraction de la bouche qui lui donnait l’air de pleurer. Il commença par sortir dans la rue, la tête haute, s’arrêta de porte en porte, éblouissant les voisins de ses racontars sentencieux, de ses savantes exégèses sur la Société de Jésus. Les bouches étaient béantes d’étonnement respectueux. On l’entoura, fier de l’entendre discourir sur saint Ignace de Loyola, dont il parlait comme s’il l’eût connu familièrement. Et c’est escorté d’amis nom-