Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/185

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pouvait l’aimer, à tout ce qui pouvait le défendre : son père, Mme Lecautel, Marguerite. Mais ces évocations fuyaient, disparaissaient, une à une, pareilles aux oiseaux effrayés qui se lèvent des haies épaisses et s’en vont en poussant des cris… Il suffoquait. Une sueur froide mouillait sa peau ; ses jambes flageolaient.

— Mon Père !… Mon Père ! implora-t-il.

— Parlez plus bas, mon enfant… On pourrait nous entendre.

Cette voix, dans ces ténèbres, avait quelque chose de si inaccoutumé, un son si bref, si étranglé, qu’elle redoubla l’effroi de Sébastien… On pourrait l’entendre ?… Mais il voulait qu’on l’entendît… Ah ! si l’on pouvait l’entendre !… Il cria plus fort :

— Mon Père ! Je vous en prie… Je vous en supplie… Ramenez-moi, là-bas, au dortoir… Ramenez-moi…

— Mais taisez-vous donc, petit malheureux… Que craignez-vous ?

Le Père était près de lui, cherchait sa main… Il murmura, à voix basse.

— Calmez-vous, mon cher enfant, et n’ayez pas peur. Pourquoi faut-il que vous ayez toujours peur de moi !… Qu’ai-je donc fait, pour cela ?… Allons !… Allons !…

Il l’attira doucement, dans le fond de la chambre, le fit asseoir sur le bord du lit…

— Comme vous tremblez !… Pauvre petit !… Tenez, buvez un peu. Cela vous fera du bien.

Et présentant à ses lèvres un verre plein d’un breuvage fort et parfumé, il répéta :

— Comme vous tremblez !