Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/192

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file des petits martyrs pollués, des petites créatures dévirginées, ses proies étonnées, dociles ou douloureuses, tout de suite vaincues par la peur, ou soumises par le plaisir. Et si le matin allait les surprendre, là, tous les deux, leur couper la retraite ! Il pensa combien le meurtre serait doux, s’il n’était impossible en cette circonstance, dans ce lieu, et quel soulagement il en éprouverait, s’il ne fallait rendre compte de cette petite existence obscure et misérable, de cette larve humaine en qui n’éclorait même pas la fleur du vice qu’il aimait.

Le Père de Kern revint auprès de Sébastien. Il dit simplement, d’un ton impérieux de maître qui rappelle son élève au devoir oublié :

— Vous savez que vous communiez demain matin.

L’effet de cette phrase fut électrique. Sébastien se dressa debout, frissonnant. C’est vrai, il devait communier le lendemain, dans quelques heures. Il ne le pouvait plus, maintenant. Tous les autres iraient, graves, pieux, les mains jointes sur la poitrine, tous les autres iraient à la Sainte-Table. Lui seul, comme un maudit, resterait à sa place, désigné au mépris universel, sa face portant l’empreinte ineffaçable de son infamie, tout son corps exhalant une odeur d’enfer. De nouveau, il s’affaissa sur le lit, et, les yeux pleins de larmes, il murmura :

— Mais je ne peux plus !…

— Et qui vous en empêche ?… interrogea le Père.

— Après ce que vous… Après ce que je… Après ce péché… ?

— Eh bien, mon cher enfant, ne suis-je pas là ?… Ne puis-je entendre votre confession ?…