Aller au contenu

Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/196

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

passent perpétuent le rêve des patries futures et des repos éthérisés.

Au sortir des prairies et des cultures suburbaines, la route traverse des landes désertes, traverse des bois de pins solitaires, traverse de silencieuses gorges où, sur les pentes arides, les roches s’éboulent. Ah ! qu’elles sont tristes les pierres, et qu’elle est inexprimable la mélancolie de ces espaces mornes où l’on dirait que se sont taries les sources de vie ! Tout y est plus petit, plus malingre, plus rabougri qu’ailleurs. Il semble que l’homme, les bêtes et les végétaux aient été arrêtés, dans leur croissance. Les arbres, fatigués de grandir, se nouent très bas en rachitiques bosses, et l’on voit des vieilles gens pareilles à des enfants flétris. Cela serre le cœur, inquiète l’imagination, et l’on comprend qu’à la misérable humanité, rivée par des siècles de misère à cette inféconde glèbe, les légendes consolatrices, les prières qui ouvrent la porte mystique des Espoirs, soient plus nécessaires que le pain. Parfois, ainsi que de graciles fleurs égarées au milieu des dures plantes de la lande, l’on rencontre, en chemin, de jeunes paysannes d’une beauté ancienne, d’une pâleur liturgique de vitrail. Avec leurs coiffes aux ailes carrées, leurs fichus de couleur, qui découvrent les onduleuses nuques, leurs robes de bure aux plis lourds de statue, elles vont, lentes, gothiques, évoquant un autre temps, le temps où Van Eyck peignait ses vierges, et leur visage pacifique, et leurs longues mains jointes, et leur taille droite. Sébastien suivit les rangs, très vague, sans savoir qui le poussait, ni où il allait. Après quelques heures d’un sommeil de plomb, il s’était levé,