Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/197

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avec une lourdeur dans le cerveau, une lourdeur dans les membres, quelque chose d’accablant qui ne lui laissait que le sentiment lointain d’une arrière-souffrance. Encore engourdi, il avait communié machinalement, sans accorder à cet acte religieux qui le troublait tant d’ordinaire, plus d’attention qu’à sa toilette… Il avait plu, pendant la nuit ; l’orage s’était fondu en averses furieuses ; une vapeur légère s’envolait des feuillages lavés et des verdures plus noires de la lande où, çà et là, des flaques d’eau blanchissaient. L’air du matin, en dissipant les fumées pesantes qui obscurcissaient son cerveau, la marche, en dérouillant ses articulations raidies, le rappelèrent à la conscience de la réalité et de la vie. Un à un, ses souvenirs se précisèrent : les couloirs, les escaliers nocturnes, la chambre et le carré de jour sinistre de la fenêtre. Ce fut un moment d’angoisse affreuse, un moment horrible, où toutes les angoisses de cette irréparable nuit, il les revécut avec un redoublement de douleur et de honte, de honte physique et de douleur morale… À dix pas, devant lui, le Père de Kern marchait, en dehors des rangs, son bréviaire sous le bras, le buste indolent et balancé, le profil très pâle, l’œil gai et sans remords. Sans remords ! Cela lui parut une chose inconcevable. Il s’attendait à le voir accablé comme lui, les paupières rougies de larmes, les épaules écrasées sous le poids du repentir. Peut-être l’eût-il aimé ainsi ; certainement, il en eût eu pitié. Eh bien, non… Il y avait dans tout son corps une aisance, une liberté d’allures, un oubli qui lui firent une peine atroce. S’il était venu vers lui, attristé, contrit, suppliant, peut-être Sébastien l’eût-il repoussé ;