Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/202

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— Est-ce que je te fais horreur, dis… Dis-moi si je te fais horreur ?…

À son tour, Bolorec n’écoutait pas. Après avoir jeté un coup d’œil insensible sur les monstres étalés sur la berge, il cherchait, dans la foule, les gens de son pays, heureux de les reconnaître, d’aspirer un peu de l’odeur de sa lande à lui, de revoir des coins de paysages préférés, tout pleins de sa liberté, de ses haltes paresseuses et des arbres dont il avait fouillé l’écorce et taillé les nœuds. Cette joie sereine, qui remettait dans les regards de son ami des lumières infinies d’idiot, cet élan tranquille vers les souvenirs purs, causèrent à Sébastien un véritable supplice. Il ne pourrait plus jamais la ressentir cette délicieuse joie, il ne pourrait plus rien revoir, rien entendre, ni du passé, ni du présent, ni de l’avenir, il ne pourrait plus rêver. Toujours serait présente l’ombre maudite, la salissante, la dévorante image de sa perdition.

— Dis-moi donc si je te fais horreur ! Répéta Sébastien.

Bolorec n’écoutait pas. Il murmurait, l’esprit envolé vers les plaines familières :

Quand j’aurai quatorze ans…

À cette époque, la fastueuse et laide basilique qui, aujourd’hui, érige sur ce morceau de terre stérile, appauvri encore par cette opulence brutale, sa masse de pierre travaillée et sa géante tour, qu’écrase la statue colossale de sainte Anne, n’existait pas. C’était, près du champ sacré de Bocenno, une petite chapelle de village, humble