Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/206

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vieux morts et les poussières logées aux cavités de ces crânes vides.

Comme il restait là, sans bouger, il aperçut, tout d’un coup, entre les feuilles, le Père de Kern, se promenant avec Jean de Kerral. Celui-ci paraissait heureux, et le Père parlait, en faisant des gestes, ces gestes onctueux, cadencés, qu’il affectionnait lorsqu’il récitait des vers ou contait des histoires, et que Sébastien connaissait tellement, qu’il eût pu redire les vers au mouvement des gestes qui les scandait. Tous les deux, lentement, ils marchaient au bord de l’allée, Jean sautillant et très petit, le menton levé vers le Père, le Père balançant son buste mince et ses hanches fortes dessinées par la soutane. Par moments, l’épaisseur du feuillage les cachait, ils reparaissaient ensuite dans une éclaircie, auréolés de verdures. Sébastien, alors, se rappela les avoir vus ensemble, souvent ; il se rappela aussi que Guy de Kerdaniel, Le Toulic, et bien d’autres, aimaient à le suivre, à l’écouter, à se pendre jalousement aux plis de sa soutane. Et il eut un soupçon de ce que le Père voulait d’eux… Oui, c’était pour cela !… De si loin, il ne pouvait entendre ce que disait le Père à Jean de Kerral, mais il le savait par cœur ce langage fleuri, engourdissant, qu’il avait subi, qui l’avait conduit dans cette chambre, où Jean irait, où il était allé, peut-être. « Oh ! petite âme inquiète, dans laquelle je lis ! » Sans doute, il lui répétait les mêmes choses, de sa voix douce ; il lui parlait de son âme, des tendresses de son âme, des extases de son âme… son âme toujours ! Et, simultanément, il éprouva un sentiment bizarre et violent d’affliction, de pitié envers ces petites