Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/227

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lui. Comme les murmures grandissent autour de Sébastien, il agite sa sonnette, et, d’une voix ferme, commande le silence. De même que dans la nuit fatale, Sébastien a gravi des escaliers, traversé des couloirs, des paliers sombres, des recoins louches. Où va-t-il ? Il n’en sait rien. À ses interrogations, le frère est resté muet, gardant, inflexiblement, dans les plis ignobles de ses lèvres mal rasées, un sourire insidieux de mauvais prêtre. Ce frère cause à Sébastien une irritante répulsion. Sa longue redingote crasseuse exhale une odeur combinée de latrine et de chapelle : son pantalon tombe en plis crapuleux sur des chaussons de lisière, troués à l’orteil ; son dos est servile ; son double regard, lâche et fourbe, s’embusque à l’angle des paupières ; il y a en cet homme un odieux mélange de geôlier, de domestique, de sacristain et d’assassin. Sébastien éprouve un soulagement véritable à son départ.

Maintenant, il est dans cette chambre, dans cette prison, seul, enfermé. Il devine qu’il va s’accomplir, en ce lieu, quelque chose d’irréparable. Mais quoi ? Cela l’exaspère de ne pas savoir. Pourquoi ces frères ont-ils refusé de lui répondre ? Pourquoi le laisse-t-on dans cette anxiété cruelle, entre des murs qui le glacent ? Il écoute. Le bourdonnement des cours a cessé. Au-dessus des toits immobiles et des impénétrables fenêtres, des nuages passent, seuls mouvants, seuls vivants ; et derrière la porte verrouillée, c’est le silence, à peine troublé, de temps à autre, par des pas glissants sur les dalles du couloir. Jamais il n’a senti aussi lourdement sur son crâne, sur ses épaules, sur ses reins, sur tout son corps et sur toute son âme, le poids acca-