Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/231

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extrêmement, et cette affection se transmettait, presque administrativement, comme un héritage, des anciens aux nouveaux. Au jour de sa fête, célébrée en grande pompe, par tout le collège, les anciens élèves accouraient de très loin, perpétuant ainsi l’enthousiasme d’un amour dont personne n’eût pu expliquer la cause, si ce n’est par ce motif qu’il faisait partie de l’éducation, comme le latin. Aucun établissement de Jésuites ne pouvait se vanter de posséder à sa tête un pareil Recteur. Des légendes impressionnantes circulaient sur lui, grossies chaque année de faits admirables et mystérieux. Il aurait pu, affirmait-on, commander une province depuis longtemps ; mais il préférait rester au milieu de ses chers élèves, qu’il voyait, du reste, le moins possible. Enfin, il passait toutes ses vacances à Rome où il avait des entrevues fréquentes avec le Saint-Père qui tenait son caractère et son exceptionnelle intelligence en particulière estime.

Sébastien comprit la gravité de sa situation, se vit perdu, condamné. Il se sentit si petit, si misérable, si écrasé devant ce Jésuite, solennel et puissant, qui tenait en ses mains tant de destinées, dont le regard insoutenable avait plongé au fond de tant d’âmes, au fond de tant de choses, qu’il abandonna instantanément – quoi qu’il pût arriver – toute idée de défense et de lutte. Il n’y avait rien à espérer de la pitié de cet homme, rien ne pouvait émouvoir ce front de marbre, ces lèvres incorruptibles, cet œil pâle. Et, si ignorant qu’il fût de l’histoire de la Société de Jésus, il eut l’intuition confuse, irraisonnée, de ce que ce prêtre représentait de formidable, d’inexorable. Que