Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/246

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la nuit ; il voulait que cette souillure apparût au grand jour !… D’abord, il lui fut impossible d’articuler une parole. Sa gorge serrée ne laissait passer que de rauques sifflements ; puis, peu à peu, à force de grimaces musculaires, à force de volonté, les yeux agrandis d’horreur, presque fou, il s’écria :

— C’est le Père de Kern qui m’a… Oui, c’est lui, la nuit… dans sa chambre !… C’est lui, lui ! Il m’a pris, il m’a forcé…

— Mais, taisez-vous donc, petit malheureux ! ordonna le Père de Marel, devenu très pâle et qui, bondissant de dessus sa chaise, secouait rudement Sébastien par les épaules. Taisez-vous donc.

— C’est lui… C’est lui… Et je le dirai… et je le dirai à tout le monde !

En phrases courtes, hachées, sursautantes, avec une sincérité qui ne ménageait plus les mots, avec un besoin de se vider d’un seul coup, de ce secret pesant, étouffant, il raconta la séduction, les causeries au dortoir, les poursuites nocturnes, la chambre !… il raconta ses terreurs, ses remords, ses tortures, ses visions ; il raconta le pèlerinage de Sainte-Anne, la conversation avec Bolorec, ses rechutes solitaires, la salle de musique… Le Père de Marel était atterré. Devant cette confession, il ne pouvait plus douter ; et il marchait, maintenant, dans la chambre, à grands pas, traçant des gestes incohérents, exhalant d’incohérentes exclamations.

Quand Sébastien en fut à l’épisode du violon :

— Et c’est cette satanée musique ?… clama-t-il… Cette sacrée musique du diable !… Sans ce violon, il ne serait rien arrivé, rien, rien !…