Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/254

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il frappa un grand coup sur le bureau ; quelques feuilles de papier tombèrent sur le parquet :

— Et d’abord, qui t’a appris ces saletés… Qui ? qui ?… Dis-moi qui ?… Mais les bêtes elles-mêmes ne font pas ça !… Un chien… oui un chien… ne fait pas ce que tu as fait !… Tu es pire qu’un chien !…

Le Père Recteur eut beaucoup de peine à le calmer.

Sébastien souffrit cruellement de l’attitude de son père. Cet égoïsme grossier, cette vulgarité de sentiments, la mise à nu de cette âme, dépouillée de son appareil d’éloquence majestueuse et comique, lui causèrent un invincible dégoût. Ce qui lui restait de respect, ce qui subsistait encore d’affection filiale disparut, en cette minute même, dans la honte. Il comprit qu’il ne pourrait plus l’aimer jamais, et qu’il était tout seul dans la vie.

— Votre douleur est légitime, monsieur, dit à M. Roch le Père Recteur en le reconduisant jusqu’à la porte… et je comprends votre colère. Mais, croyez-moi, ménagez un peu cet enfant. Une minute d’égarement n’engage pas l’existence… Il se repent.

— Il est bien temps, soupira M. Roch… Et vous croyez que c’est son repentir qui arrangera mes affaires !… et que je pourrai, après un tel scandale, me présenter aux élections du conseil d’arrondissement ! C’est égal…

Il prit un ton amer, redressa sa taille courbée…

— C’est égal ! j’aurais cru qu’entre gens du même parti… qu’entre honnêtes gens… j’aurais cru qu’on se soutiendrait davantage !