Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/257

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— Non, mère Cébron, ce n’est pas vrai !

— Ah ! je le savais bin, moi… Je vous dis qu’il est fou, monsieur !…

Et elle ajouta en haussant les épaules :

— Et puis, quand ça serait vrai ! Voilà-t-il pas, mon Dieu, de quoi tant crier. Ah ! dites donc, j’ai rencontré aussi mamz’elle Marguerite. Depuis cinq mois elle a bien grandi ; justement, dimanche dernier, elle a étrenné ses robes longues… C’est une gentille enfant… Elle s’est informée de vous… Ah ! dame ! faut voir… Elle m’a demandé si vous aviez de la barbe… Voyez-vous ça ! Non, où ça va-t-il chercher de pareilles idées, des gamines comme ça ?… Pour en revenir à monsieur, je crois bien… non, là, vrai… je crois bien qu’il est fou…

Au déjeuner, il parut, en effet, à Sébastien, que son père était plus excité encore que de coutume. Il mangeait avec une rage grondante ; ses gestes étaient d’une brusquerie telle qu’il cassa un verre et fendit deux assiettes. Cela l’exaspéra davantage ; et tout à coup :

— Ah ça, fit-il, t’imagines-tu que je vais te garder ici, à rien faire, te nourrir à rien faire ?… Dis, t’imagines-tu une pareille absurdité ?… Tu me crois, sans doute, un imbécile ?

Sébastien ne répondit pas.

— Eh bien, mon garçon, tu te trompes. Demain je t’emmène à Séez, au petit séminaire de Séez… Tu y passeras tes vacances, tu y passeras toute la vie.

Il s’anima, et, la bouche pleine de ragoût, il répéta, jurant pour la première fois :

— Toute ta vie, nom de Dieu, as-tu entendu ?

Sébastien frissonna. Il revit le collège, tout le