Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/276

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mielleux, dévot et rasé, ou plutôt mal rasé comme un frère de collège, dont il avait toutes les allures incertaines et méfiantes. Il était marguillier, lui aussi, et fort estimé dans la ville. Il joignait à son métier notoire de quincaillier, celui plus louche et plus lucratif encore de prêteur à la petite semaine. Il les joint toujours. François Trincard me dit : « Ah ! ah ! c’est un bon métier que le commerce ! » et me fit ranger dans la cour de vieilles ferrailles rouillées qu’il avait acquises d’une démolition. Pendant huit jours, je rangeai des ferrailles, aidé parfois par Mme Trincard, une grosse femme aux lèvres gourmandes, aux joues luisantes, qui me regardait, en riant drôlement. Je ne pouvais m’empêcher de penser : « Si mes camarades de Vannes me voyaient ! » Et cette pensée me faisait rougir. Mon père venait régulièrement, chaque jour, à deux heures, dans le magasin. Il s’asseyait, causait de mille choses. Moi, j’allais, je virais autour de lui. Il n’avait pas l’air de me voir, ne s’informait pas de mes progrès dans l’art de ranger les ferrailles. Un jour que « mon patron » s’était absenté, sa femme m’appela dans l’arrière-boutique. Elle m’attira près d’elle, tout près d’elle, et brusquement elle me demanda :

— Est-ce vrai, mon petit Sébastien, qu’on vous a pris, au collège, avec un petit camarade ?

Et comme, stupéfait de cette imprévue question, je rougissais sans répondre : — C’est donc vrai ?… ajouta-t-elle… Mais c’est très mal !… Oh ! la petite canaille !

Je vis son corsage s’enfler comme une houle ; je sentis ses grosses lèvres se coller aux miennes dans un baiser goulu, ce baiser s’accompagner