Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/277

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d’un geste auquel je ne pouvais me méprendre.

— Laissez-moi ! lui dis-je faiblement.

J’aurais bien voulu rester… Pourtant, je ne sais pourquoi je me dégageai de cette étreinte et m’enfuis. C’est ainsi que je quittai le commerce.

Mon père ne montra ni étonnement, ni colère. Mme Lecautel me fit de la morale longuement, et, s’acharnant à me trouver une occupation, elle me persuada de « tâter » du notariat, puisque le commerce ne me plaisait pas. Je m’en ouvris à mon père, qui, de même qu’il m’avait conduit chez le quincaillier, me conduisit chez le notaire, en disant : « Je vous amène un clerc. » Le notaire, M. Champier, était un homme très gai, très farceur, qui passait presque toutes ses journées sur le pas de sa porte, à siffloter des airs de chansons comiques, et à héler les passants. Il ne faisait jamais rien que de parapher les expéditions, et signer les actes ; et il paraphait et signait en sifflotant. Très souvent il allait à Paris, où, disait-il, il avait des affaires importantes. Quant à son étude, il s’en remettait au premier clerc du soin de la diriger. Il m’accueillit jovialement : « Ah ! ah ! c’est un beau métier que le notariat ! » me dit-il. Et, sifflotant, il m’emmena à l’étude, où, pendant un mois, je copiai les rôles.

Mme Champier venait assez souvent à l’étude. Petite, sèche et brune, la peau noire et grumeleuse, elle avait de grands yeux humides, l’air malheureux et rêveur.

— Vous qui avez une si jolie écriture, monsieur Sébastien ! Disait-elle d’une voix suppliante et langoureuse, je voudrais que vous me copiiez ces vers…