Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/28

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liales, qui lui arrivaient, dépouillées du voile de l’habitude, en formes désolantes et nues, changèrent rapidement l’état de son âme. Sans qu’il en eût conscience, l’incohérent discours de son père, les Jésuites, les fils du prince éveillèrent en lui le rêve d’un au-delà, remuèrent des imaginations latentes qui, peu à peu, se dégageaient devant l’horreur de la réalité révélée. À la pensée qu’il avait pu demeurer là, toute sa vie, parmi ces gluantes ombres, à regarder les murs hideux qui lui dérobaient la joie du ciel, une mélancolie rétrospective l’envahit. Oubliant le passé d’insouciance tranquille, il se persuada qu’il avait été infiniment malheureux, et que ce qu’il souffrait, à cette heure, il l’avait toujours souffert. Tandis qu’il végétait, misérable, à d’autres étaient réservées des joies, des beautés, des magnificences. Il savait maintenant — son père le lui avait dit, avec quel accent de certitude, d’admiration ! — qu’il n’avait qu’à allonger le bras, pour les étreindre lui aussi. Le collège ne l’effraya plus. Il se surprit même à désirer cet inconnu, qui le troublait encore, mais voluptueusement, comme l’incertaine approche d’une vague délivrance.

Sébastien s’assit auprès de la table, le dos tourné à la fenêtre, ouvrit un livre de classe qu’il ne lut point, et la tête dans les mains, les yeux très graves, lointains et songeurs, il rêva longtemps à d’autres ciels, à d’autres compagnons, à d’autres maîtres. Graduellement, tous les objets de l’arrière-boutique, la cour, les murs, se reculèrent, s’effacèrent ainsi que s’effacent et se reculent les choses ambiantes, dans l’engourdissement du demi-sommeil, et l’enfant se vit transporté en