Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/27

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moi !… » Et il prenait à témoin le solide mécanisme de la lampe, la douceur des chaînettes, la résistance du fumivore, l’opinion de ses compatriotes. C’était aussi, sur la cheminée, entre deux vases bleus, gagnés à des loteries foraines, la photographie de sa mère que Sébastien n’avait pas connue ; une jeune femme frêle, un peu raide, le visage presque effacé, les tempes ornées de longs repentirs, et tenant à la main, du bout des doigts, en un mouvement maniéré, son mouchoir de dentelles. Et il entendait son père redire quotidiennement : « Il faudra que je remonte ta pauvre mère dans ma chambre, et que je mette, à sa place, une pendule ! » Tout cela qu’il revivait en cette minute précise, l’âme affadie d’ennuis, de désenchantements, de dégoûts, tout cela était enveloppé par la morne clarté du dehors, taché par les reflets sales des carreaux de brique qui dallaient ce sombre réduit. Sébastien dirigea ses yeux vers la fenêtre, comme pour y chercher une échappée de ciel. La fenêtre, unique et sans rideaux, s’ouvrait sur une étroite cour, et le regard se cognait aux murs des maisons voisines, crasseux, purulents, écaillés de lèpres verdâtres, fendillés de suintantes lézardes, percés d’ignobles jours de souffrance, par où se devinaient vaguement des pauvretés entassées et de vermiculaires ordures. Sans cesse, des tuyaux dégorgeaient des eaux pourries ; des bouches noires vomissaient des puanteurs, s’écoulant vers un caniveau commun, entre des amas de vieille ferraille et des débris de toutes sortes. Ce repoussant spectacle, cette lumière louche, aux sordides pâleurs, et jusques à cette vulgarité, cette inintimité des choses fami-