Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/286

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

ombres. Le reste a presque disparu. Je prends la photographie, et, durant quelques secondes, je la considère sans émotion. Pourtant, brusquement, je demande à la mère Cébron :

— Est-ce que mon père n’a rien gardé d’elle ?

— Si !… si !… Il y a au grenier une caisse qui est pleine d’effets de madame.

— Je voudrais les voir… Venez avec moi, mère Cébron.

Nous trouvons la caisse, enfouie sous un tas de haricots, aux cosses sèches, la provision d’hiver… Quatre robes de laine, trois bonnets, un chapeau, quelques chemises… Et c’est tout !… Cela est mangé aux vers, décoloré, pourri. Une âcre odeur de moisi s’exhale de ces minces étoffes en lambeaux, de ces lingeries avariées. En vain, je cherche une forme, une habitude, quelque chose de vivant encore de celle qui fut ma mère, et dont le cœur battit sous ces débris de drap et de toile. Ce ne sont plus que des chiffons qui s’effilochent, se désagrègent, se crèvent, et me restent aux doigts. Alors, j’interroge la mère Cébron :

— Elle était bonne, n’est-ce pas ?

— Bonne !… bien sûr qu’elle était bonne !

La vieille a dit cela d’un ton qui ne me satisfait pas. J’insiste :

— Elle n’a pas dû être toujours heureuse, avec mon père ?

— Ah ! bien sûr que si qu’elle a été heureuse avec monsieur… Elle en faisait tout ce qu’elle voulait, la chère dame !… Elle le menait quasiment par le bout du nez… Ah ! le pauvre monsieur… Je vous assure qu’il ne pipait pas avec madame… Et puis !…