Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/285

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dans l’air. Les maisons sont fermées ; à peine si j’aperçois, derrière les fenêtres dépolies par le froid, quelques figures abêties et somnolentes. Et une sorte de pitié irritée me vient contre cette humanité, tapie là, dans ses bauges, et soumise par la morale religieuse et la loi civile à l’éternel croupissement de la bête. Y a-t-il quelque part une jeunesse ardente et réfléchie, une jeunesse qui pense, qui travaille, qui s’affranchisse et nous affranchisse de la lourde, de la criminelle, de l’homicide main du prêtre, si fatale au cerveau humain ? Une jeunesse qui, en face de la morale établie par le prêtre et des lois appliquées par le gendarme, ce complément du prêtre, dise résolument : « Je serai immorale, et je serai révoltée. » Je voudrais le savoir.


4 janvier.

La neige est tombée, toute la nuit, et couvre la terre. Une paresse m’a retenu au lit assez tard. Je ne voulais pas me lever. Il y a des moments où il me semble que je dormirais des jours, des semaines, des mois, des années. Je me suis levé, cependant, et, ne sachant que faire, j’ai rôdé dans la maison. Mon père est à la mairie. La mère Cébron balaye la salle à manger. Mes yeux, par hasard, se posent sur la photographie de ma mère. Elle a retrouvé, dans notre nouvelle demeure, sa place, sur la cheminée, entre les vases bleus. De plus en plus elle s’efface, et le fond est tout jaune. On ne distingue plus les balustres, les étangs, les montagnes. De l’image même de ma mère, je ne vois que la robe, le mouchoir de dentelles, et les longs repentirs encadrant un visage sans traits et sans