Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/299

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d’un vert poudré de rose, qui, tantôt, a des consistances translucides de pierres précieuses, et tantôt des vaporisations d’ondes.

La foule grossit, poussée là par un même instinct sauvage, car c’est maintenant une foule. Elle me paraît absolument hideuse. Jamais encore, il me semble, je n’ai si bien compris l’irréductible stupidité de ce troupeau humain, l’impuissance de ces êtres passifs à sentir les beautés naturelles. Pour les faire sortir de leurs trous, pour amener sur leurs visages ces épais sourires de brutes ataviques, il leur faut la promesse des spectacles barbares, des plaisirs dégradants qui ne s’adressent qu’à ce qu’il y a de plus bas, de plus esclave en eux.

Marguerite est là, elle aussi, conduite par sa bonne. Elle aussi, comme tout le monde, elle manifeste une agitation insolite qui m’offusque. À peine si elle remarque le bonjour que je lui adresse.

— L’avant-garde est déjà arrivée depuis longtemps, vous savez, me dit-elle.

Et elle grimpe sur le talus, pour voir de plus loin la route. Elle qui, d’habitude, me gêne plutôt par la persistance de ses œillades, m’obsède de ses tendresses muettes ; elle qui, toujours, cherche à se rapprocher de moi, à se frôler à moi, elle ne me regarde plus du tout. J’éprouve quelque dépit, plus que du dépit, de la jalousie. Je lui parle, elle me répond par des mots brefs, ou ne me répond même pas. Et, tout d’un coup, hissée sur la pointe de ses pieds, battant des mains, elle s’écrie :

— Les voilà ! les voilà !

En effet, là-bas, sur la route, quelque chose