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Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/300

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brille et miroite, dans le soleil pâle de cette douce matinée. Cela s’allonge, cela s’avance. Marguerite répète :

— Les voilà ! les voilà !

Je ne l’ai jamais vue ainsi, impatiente, l’œil enflammé, toute frissonnante de désirs, si ce n’est avec moi et pour moi. Et je m’irrite, contre elle, de n’être pour rien dans cette joie qu’elle montre, dans cette passion qui émane d’elle, et d’où je suis absent. J’en veux à Mme Lecautel de l’avoir laissée venir ici. Il me semble que ce n’est pas sa place.

— Ah ! les voilà ! les voilà !

Ils défilent, droits sur les croupes harnachées des chevaux ; ils défilent, pesants, éclatants, splendides, dans un remuement d’armes, dans un entrechoquement d’éclairs. Le sol tremble et gronde. Sous les casques qui étincellent, les figures sont bronzées, les muscles puissants ; les thorax bombent comme des armures, et les crinières s’épandent sur les nuques solides, en torsions noires, sinistres, rappelant le temps des antiques barbaries. Je sens un frisson courir dans mes veines.

Un sentiment, plus fort que ma volonté, s’empare de moi, malgré moi, qui n’est ni de l’orgueil, ni de l’admiration, ni un élan quelconque vers l’idée de la patrie ; c’est une sorte d’héroïsme latent et vague, par lequel ce qu’il y a dans mon être, de bestial et de sauvage, se réveille au bruit de ces armes ; c’est le retour instantané à la bête de combat, à l’homme des massacres d’où je descends. Et je suis pareil à cette foule que je méprise. Son âme, qui me fait horreur, est en moi, avec ses brutalités, son adoration de la force et du meurtre. Ils défilent toujours. J’observe Margue-