Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/302

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Ils ont défilé. La foule les suit. Nous rentrons. Marguerite est silencieuse, un peu lasse, toujours grave. Moi, je retombe vite à d’autres sensations. La conception que je me suis faite de l’amour, dans une lueur de raison ou de folie, je ne sais, n’a pas duré. Je suis revenu, rapidement, aux impressions de luxure. Cela est ainsi. Tout ce que je pense parfois de généreux, il faut que je le ramène, aussitôt, à un salissement, par une pente naturelle et détestée de mon esprit. Toute la journée, je suis resté fort dégoûté et très sombre. Je ne me suis égayé un peu qu’au dîner. Le colonel n’a pas accepté l’hospitalité de M. le maire ; il a préféré descendre à l’hôtel et manger avec ses officiers. Mon père est furieux. Il m’observe de coin, et je suis sûr qu’il m’accuse de cette déconvenue. Lorsque la mère Cébron apporte triomphalement une dinde rôtie, énorme, dorée, luisante de graisse, mon père ne peut plus maîtriser sa colère.

— Remportez ça ! crie-t-il.

— Mais, monsieur…

— Remportez ça, je vous dis !…

Je crois que si mon père avait cru de sa dignité de parler devant moi, la cavalerie eût passé un mauvais quart d’heure.


25 janvier.

Je vais, deux ou trois fois par semaine, chez Mme Lecautel. Ces visites sont, pour moi, une distraction et un moyen de rompre ma solitude un peu. Mais je n’y éprouve pas un vrai plaisir. Mme Lecautel n’est pas la femme intelligente que je voudrais qu’elle fût. Elle a infiniment de préjugés