Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/306

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créature humaine. L’amour circule sous sa peau, brûlant ainsi qu’une fièvre ; il emplit et dilate son regard, saigne autour de sa bouche, rôde sur ses cheveux, incline sa nuque ; il s’exhale de tout son corps, comme un parfum trop violent et délétère à respirer. Il commande chacun de ses gestes, chacune de ses attitudes. Marguerite en est l’esclave douloureuse et suppliciée. Elle ne m’embrasse plus comme autrefois, mais je sens ses lèvres prêtes au même baiser. Elle ne me couvre plus de ses caresses ardentes, précipitées, désireuses de la chair du mâle, ainsi qu’elle faisait, gamine ; mais son corps cherche le mien. Quand elle m’approche, elle se livre, toute ; elle a des gestes inconscients, des cambrures de reins, des tensions du ventre qui la dévêtent, et me la montrent en sa nudité pâmée. Dès que j’arrive, elle s’anime ; ses prunelles s’allument, ses joues se colorent aux pommettes d’un sang plus vif, s’estompent aux paupières d’un cerne d’ombre ; un besoin de mouvement l’agite, et la pousse. Elle va, vient, virevolte, et saute, prise d’une joie nerveuse, qui lui met au visage une expression de souffrance. Et ses yeux, obstinément sont fixés sur moi, si hardis, si voraces, qu’ils me font rougir et que je ne puis en supporter l’éclat sombre. Mme Lecautel ne se rend compte de rien. Pour elle, j’imagine, ce sont des fantaisies d’enfant gâtée, qui ne tirent pas à conséquence. Elle lui dit seulement de sa voix placide, ce qu’elle lui disait lorsque Marguerite était toute petite : « Allons, ne t’excite pas ainsi, ma chérie… Sois tranquille. » Souvent, je suis tenté de l’avertir, et je n’ose pas.