Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/308

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seule présence – sa présence délicieuse – m’irrite. Je ne puis supporter qu’elle rôde autour de moi, qu’elle s’approche de moi. Son contact m’est presque un supplice ; un simple frôlement de sa jupe sur mes jambes me cause, à l’épiderme, une révolte. Je fuis sa main, je fuis son haleine, je fuis son regard embrasé d’amour. Deux fois, à la dérobée, elle a saisi ma main et l’a serrée : je l’aurais battue ! C’est, en moi, pour elle, un mélange de pitié et de répulsion, quand elle est là, près de moi ! Et, lorsque je les vois, toutes les deux, côte à côte, la fille si jolie, si pleine d’ardente jeunesse, si désirable, et la mère, déjà vieille, dont la peau se ride, dont le corps se déforme, dont les cheveux blanchissent, c’est à cette dernière que, bien des fois, par une criminelle perversité, par une inexplicable folie de mes sens, sont allés mes désirs et se sont adressées mes luxures. Sa main qui, déjà, se noue aux articulations, sa taille épaissie, ses hanches écrasées me tentent ; je me sens grisé, en quelque sorte, odieusement grisé, à la vue de ces pauvres chairs ruinées, écroulées, couturées de plis vénérables et maternels !

Un jour que sa fille n’était pas là, espérant peut-être amener entre nous l’impossible réalisation de ces rêves ignobles, lâchement, sournoisement, je dis à Mme Lecautel :

— Il ne faut plus que je vienne si souvent chez vous. Cela me fait beaucoup de peine… mais il ne faut plus.

— Et pourquoi, mon enfant ? me demanda-t-elle surprise.

— Parce que, fis-je, jouant la comédie de l’embarras et de la pudeur… parce que, dans le pays,