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Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/312

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tant à mesure que l’heure avançait, l’autre Marguerite, la Marguerite lointaine, faisait place, peu à peu, dans mon rêve, à celle que je venais de quitter. Une appréhension d’elle succédait au dégoût en allé ; une appréhension agréable, l’angoisse d’une attente délicieuse, d’un mystère désiré, qui me rendait bien lentes les heures, et bien éternelles, les minutes.

La nuit était sombre, sans lune. Une fraîcheur humide s’évaporait de la terre, et dans l’air des parfums rôdaient. J’étais sur la route, depuis une demi-heure, en avance, ayant eu le temps de m’habituer à l’obscurité, inquiet du moindre bruit, plein d’une anxiété profonde et vague, comme ces masses d’ombre où des frissons d’amour couraient. Car c’étaient, sous le ciel silencieux, des masses d’ombre confuses, et d’errantes silhouettes, parmi lesquelles la route se dessinait un peu plus pâle, la route par où, dans un instant, Marguerite allait venir, ombre furtive elle aussi, et furtive silhouette, perdue dans le mystère nocturne.

Je l’entendis, d’abord, sans la voir : un bruit cadencé et rapide, alerte comme la fuite d’une bête dans un fourré ; puis je la vis, toute vague, à peine corporelle, disparaissant et reparaissant ; puis soudain, je la sentis près de moi. Elle était enveloppée d’un châle noir, si noir que son visage brillait presque, ainsi qu’une étoile dans les ténèbres.

— Je suis en retard, dit-elle, essoufflée. J’ai cru que mère ne se coucherait pas ce soir.

Et, saisissant ma main, elle m’entraîna :

— Allons sur le banc, dans l’allée, veux-tu ?

Lorsque nous fûmes assis, sur le banc, dans