Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/317

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y déposa des pièces de métal, en disant triomphalement :

— Voilà ! tu auras des livres maintenant, beaucoup, beaucoup de livres… Et, moi, je serai bien, bien contente.

D’abord, je demeurai stupéfait, étourdi, la main étendue, tremblante un peu. Et, dans ma main, les pièces, en s’entrechoquant, faisaient un bruit d’or. Il devait y en avoir cinq ou six, davantage peut-être. Mon regard allait de cette main, où les pièces restaient invisibles, au visage de Marguerite, invisible aussi, dans la nuit. Je n’éprouvais nulle colère, nulle honte ; c’était, en moi, comme une pitié plus douloureuse, qui me poussait à m’agenouiller devant cette enfant dont l’inconscience me paraissait sublime. Je balbutiai :

— Où as-tu pris cet argent ?

— Je ne l’ai pas pris… Il est à moi.

Je l’attirai contre ma poitrine ; et elle m’enlaça le cou de ses deux bras.

— Dis-moi la vérité, Marguerite… Tu l’as volé à ta mère ?

— Eh bien !… mère et moi, n’est-ce pas la même chose ?

Je reglissai l’argent dans les poches de sa robe, et je dis :

— L’autre jour, j’ai menti… J’ai des livres… Tu remettras cela où tu l’as pris… Tu me le promets ?

Elle était presque défaillante, la taille cambrée, son souffle haletait sur mon visage.

— Ah ! pourquoi ?

Je la serrai dans mes bras ; je lui donnai, au