Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/316

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M’écoutait-elle ? Il ne me le semblait pas. Elle se berçait de ma voix, mais ma voix ne lui apportait pas les mêmes paroles que celles qui sortaient de ma bouche. Je sentais son corps frissonner, mais d’une émotion qui n’était pas la mienne, ses mains m’étreignaient, mais ces étreintes ne correspondaient pas au sentiment d’affectueuse pitié qui, en ce moment, me prenait toute l’âme.

— Il faut rentrer, Marguerite, répétai-je… Je te promets que j’irai te voir demain, que nous nous verrons tous les jours… oui, tous les jours, je te le promets…

Elle ne m’écoutait pas. Comme si elle sortait d’un rêve, que, pas une minute, mes prières n’avaient pu troubler, elle murmura de sa voix lointaine, de sa voix d’enfant :

— Devine quelque chose !

— Il faut rentrer, Marguerite, insistai-je d’un ton qui commençait à s’exaspérer.

— Devine… je t’en prie !… Devine !… Ah ! tu ne veux pas deviner, vilain !… Eh bien, tu as dit, l’autre jour, que tu n’avais pas de livres, pas ?… Et que ça te faisait de la peine, pas ?… Devine…

— Oui, j’ai dit cela, et puis ?…

— Et puis, moi, je ne veux pas que tu aies de la peine, et je veux que tu aies des livres !… Tu ne devines pas ?… non ?…

Vivement, elle se leva du banc, toute droite, rejeta le châle qui l’enveloppait, et je l’entendis qui fouillait dans la poche de sa robe, par gestes brusques, saccadés, impatients. Bientôt, elle poussa un petit cri de joie, se rassit près de moi, et prenant ma main, elle l’ouvrit toute grande,