Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/332

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meubles, heurtant les chaises à coups de pied. Soudain, il se rappela que les nuits étaient claires, brillantes de lune, et que c’était l’époque où les couples amoureux et enlacés promenaient leurs ruts dans les champs, à l’orée des bois, sur les routes poussiéreuses et les sentes herbues. Quelque chose de mauvais gronda en lui, et il cria :

— Chienne ! chienne ! chienne !

La nuit arriva plus vite qu’il l’eût souhaité. Il lui sembla que les minutes, si lentes toujours, dévoraient les heures.

Lorsqu’il se dirigea vers l’allée, la lune, en effet, resplendissait dans un ciel très pur, très pâle, d’une pâleur froide et lactée. De grandes ombres bleues, transversales, balayaient la route, toute blanche ; et les arbres, violents sur la lumière, conservaient des couleurs vertes, d’un vert seulement assombri et criblé de paillettes argentées. Les champs, les coteaux et, dans les champs et sur les coteaux, les maisons éparses, enveloppées d’un léger mystère, avaient presque leur aspect diurne.

À l’entrée de l’allée, appuyée contre un tremble, Marguerite, en avance, surveillait la route. Elle avait encore sa robe de toile écrue, serrée à la taille par un ruban rouge ; sur la tête et sur les épaules, une sorte de châle, en soie blanche, qui luisait sous la lune. Et les troncs des trembles, nets et blancs, fuyaient comme une barrière haute et blanchie, en une perspective profonde, avec de l’ombre entre eux, de l’ombre transparente et trouée d’astrales clartés. Dès qu’elle aperçut Sébastien, Marguerite courut au-devant de lui, et sans prononcer une parole, l’étreignit, collant son