Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/334

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aux sanglots qui l’oppressaient ses claires sonorités.

— Ce que je veux ?… reprit-elle avec effort… Vois-tu, cela me brûle de ne pas t’avoir, cela m’étouffe. La nuit, je ne dors plus… Je deviens folle, folle… si tu savais !… Mais tu ne comprends pas… tu ne comprends rien… si tu savais. Souvent le soir, quand mère est endormie… souvent je suis sortie de ma chambre où j’étouffe, de la maison où je meurs… et j’ai couru comme si tu m’attendais !… J’ai rôdé autour de chez toi. Il y avait toujours de la lumière aux fenêtres de ta chambre… Que faisais-tu ?… Et je t’ai appelé… et j’ai lancé des grains de sable, de petits cailloux contre ces fenêtres que je ne pouvais atteindre… Si la grille avait été ouverte… oui… je crois que je serais entrée… Et je suis venue m’asseoir ici, pendant des heures, des heures !… Sébastien, dis-moi quelque chose… prends-moi dans tes bras… Sébastien, je t’en prie, pourquoi ne me parles-tu pas ?

Sébastien demeurait silencieux et sombre.

À mesure qu’elle parlait, qu’elle disait ses attentions toujours déçues, ses espoirs jamais réalisés, ses souffrances, ses irritations, ses rêves, ses élans qui, bien des fois, la poussaient vers lui, si fort qu’elle pouvait à peine réprimer le besoin de le prendre, de l’embrasser, même devant sa mère ; à mesure qu’il sentait pénétrer, plus avant, dans sa peau, la chaleur de cette chair de femme, il avait davantage horreur de cette voix qu’il eût voulu étouffer, davantage horreur de cet intolérable contact, auquel il eût voulu se soustraire, à tout prix. Ce qu’elle avait été pour lui, les enthousiasmes, les pensées, les réflexions, les pitiés qui lui étaient