Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/335

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venus d’elle, il les oubliait dans l’actuel dégoût de ce sexe qui s’acharnait et semblait multiplier sur son corps les picotements de mille sangsues voraces. Il regarda, d’un regard atroce, Marguerite, dont le visage, tout pâle de lune, pâle de la pâleur qu’ont les morts, était incliné sur son épaule, et il frissonna. Il frissonna, car des profondeurs de son être, obscures et de lui-même ignorées, un instinct réveillé montait, grandissait, le conquérait, un instinct farouche et puissant, dont pour la première fois, il subissait l’effroyable suggestion. Ce n’était plus seulement de la répulsion physique qu’il éprouvait, en cette minute, c’était une haine, plus qu’une haine, une sorte de justice, monstrueuse et fatale, amplifiée jusqu’au crime, qui le précipitait dans un vertige avec cette frêle enfant, non pas au gouffre de l’amour, mais au gouffre du meurtre. Lui, si doux, lui à qui le meurtre d’un oiseau faisait mal, lui qui ne pouvait, sans une défaillance, supporter la vue d’une plaie, d’une flaque de sang, instantanément il admettait la possibilité de Marguerite renversée sous lui, les os broyés, la figure sanglante, râlant. Le vertige s’accélérait ; l’ivresse rouge gagnait son cerveau, mettait en mouvement ses membres pour la besogne homicide. Il se recula vivement, d’un bond. Et ses doigts se crispèrent sur sa cuisse avec de sinistres refermements. La lune continuait sa marche astrale. Une brise légère s’était levée, agitait les feuillages des trembles, dont le dessous argenté luisait.

— Je t’en prie, dis-moi quelque chose, supplia Marguerite qui, vivement aussi, se rapprocha de Sébastien… Prends-moi dans tes bras… Pourquoi t’en vas-tu ?