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SÉBASTIEN ROCH

— Oh ! pourquoi ne me laisses-tu pas ainsi ? soupira-t-elle… Est-ce que je te fatigue ?

— Non, tu ne me fatigues pas, Marguerite…

— Eh bien, alors, pourquoi ? Je suis si bien, chéri !

Sa voix était pure comme un chant d’oiseau matinal. On eût dit que rien de mauvais n’avait passé en elle. Et cette voix d’enfant, cette voix comme en ont les ondes qui courent, émut Sébastien. Il fut envahi d’une grande pitié d’elle, d’une grande pitié de lui, une si grande pitié d’elle et de lui, condamnés à des souffrances dissemblables, à de pareilles hontes, qu’il fut tout à coup secoué d’un frisson et fondit en larmes.

— Tu pleures ? s’écria Marguerite… Tu crois que je ne t’aime plus ?

— Non, non…, ce n’est pas cela !… Tu ne peux pas savoir… Pauvre petite !…

— Alors, tu ne m’aimes plus ?

Il la saisit dans ses bras, la tint longtemps serrée dans une étreinte chaste.

— Je t’aime, pauvre petite !… prononça-t-il. Et pourquoi ne t’ai-je pas toujours aimée de cet amour ?… Je suis bien malheureux, va !… bien malheureux… parce que je devine toutes les souffrances que tu portes en toi… et que c’est de ces souffrances-là que je t’aime maintenant…

Il pencha sa tête sur l’épaule de la jeune fille, chercha ses mains, murmura :

— Ne me dis plus rien… ne me parle pas… Oh ! comme ton cœur bat…

Marguerite, un peu effrayée, voulut balbutier :

— Sébastien ! mon petit Sébastien…

Mais Sébastien répéta :