Page:Mirbeau - Sébastien Roch, 1890.djvu/34

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vait avec son père, ou seul, dans le froid de l’arrière-boutique.


C’étaient aussi des appréhensions angoissantes de cette farouche Bretagne, de ce pays mystérieux des légendes, dont M. Roch, en guise d’études préparatoires, l’obligeait à lire des récits très sombres et terribles. Les âpres paysages, les mers tragiques, les vieux châteaux hantés, les mauvaises fées planant au-dessus des étangs nocturnes, les naufrageurs tordant leurs chevelures calibanesques sur les grèves hurlantes, tout ce fantastique de mélodrame se combinait, en sa pensée, avec les divagations paternelles, qui lui donnaient des Jésuites et de leur collège une surhumaine et fulgurante image. Jamais il ne pourrait s’habituer à vivre en un tel milieu, en contact journalier avec des êtres si loin de lui, dont le plus humble rayonnait de « l’insoutenable éclat des évêques ». Et renchérissant sur les hyperboliques comparaisons de M. Roch, il se représentait alors les Jésuites, dans des embrasements ecclésiaux, vêtus d’orfroi, auréolés d’encens, révérés comme des papes, inabordables comme des dieux. Tiraillé sans cesse, entre des craintes vagues et des espérances chimériques, privé de ses camarades, la seule joie qui l’eût aidé à travers les difficiles heures de l’attente, énervé par les quotidiens essayages de la mère Cébron, abruti par les prêches de son père, il se trouvait infiniment malheureux. Hormis le jeudi et le dimanche, il ne savait que faire de ses longues journées. Plus de jeux à la marelle, sur la grand’place ; plus de vagabondages à travers champs, le long des haies chantantes et fleuries,